Le texte mis en ligne est anonyme et sans titre. Il a vraisemblablement été écrit vers la deuxième moitié du siècle dernier, et fait référence à l'ancien chemin qui permettait d'établir un contact direct entre le Val de l'Ambronne et Chalabre. Il est ici retranscrit dans sa forme d'origine (Illustrations, Avril 2021).

« Quand la neige recouvre la campagne et que le vent d’hiver hurle dans les cheminées, chacun éprouve le besoin de se rapprocher du coin du feu. En cela il y a une poésie qu’on ne saurait décrire mais qu’on se plait à savourer. Et tout en remuant les tisons avec la pointe des savates, on se plait à raconter des histoires et à évoquer le passé. On imagine aussi la nuit enveloppant la campagne, et certains lieux qu’on a parcourus si agréablement en été prennent dans notre pensée une apparence fantastique et mystérieuse. En songe on y devine la lutte des éléments déchaînés, et des forces de la nuit. Ah qu’on ne voudrait point se trouver par une nuit d’hiver dans ces lieux qu’on sait déserts mais qu’on imagine peuplés de toutes les épouvantes de la nature.

Et ceci nous amène dans un de ces vieux chemins, maintenant envahis par la végétation, recouverts par la broussaille et dont le tracé ne reste vraiment conservé que sur les plus vieux plans du cadastre. Pourtant ces vieux chemins étaient fort fréquentés autrefois et faisaient même l’objet d’un grand trafic économique.

Ainsi cette période de neige nous amène à parler de l’ancien chemin de Peyrefitte-du-Razès à Chalabre. C’était autrefois, quand les routes actuelles n’étaient pas faites, un chemin de grande communication qui reliait deux contrées. Il y a quelques années encore, les gens qui avaient l’habitude de marcher à pied, l’empruntaient pour se rendre à Chalabre. Par endroits, là où la forêt et les buissons ne l’ont pas recouvert il ne forme plus que ce qu’on appelle un vulgaire « carretal », à mode traverse. Mais sur le tronçon du col de la Flotte-Jean Molh-Chalabre, il reste l’une des grandes voies de la transhumance des troupeaux andorrans.

Partant de Peyrefitte-du-Razès, le chemin grimpe à flanc de coteau, desservant quelques petits champs de céréales ou de pommes de terre. Puis il escalade landes et garrigues pour aboutir sur un premier plateau, d’où l’on a une vue splendide sur le Val d’Ambronne. Le chemin contourne une montagne, « Le Pech », et arrive au lieu-dit « Croix de la Sagne ». Il faut bien chercher et remuer le peilhenc pour découvrir la fameuse croix ou plutôt un fragment de vieille pierre. L’appellation et le fragment de croix, dénotent l’existence à cet endroit d’un ancien carrefour de chemins. En fait le lieu est encore un carrefour pour les lièvres et aussi pour la sauvagine, disent les chasseurs.

De là le chemin s’engage dans la forêt de Toulouzet. Quelques mètres à peine et déjà la végétation le recouvre. Muni d’une serpe et avec assez de courage, si on veut continuer, il faut avancer comme un sanglier dans la broussaille. La montée conduit vers les coins de la forêt les plus réputés pour les cèpes. Après une longue et pénible marche le chemin débouche sur le plateau du Clergue.

Ce grand plateau d’une altitude variant entre 500 et 600 mètres d’altitude, qu’on reboise actuellement offre un décor particulier. C’étaient autrefois des champs. Maintenant le peilhenc et la garrigue se disputent le territoire. Ce paysage extraordinaire et déserté prend un aspect sinistre lorsque la brume le balaye à ras de sol et qu’elle déferle par les ruines des vielles fermes abandonnées depuis déjà plusieurs dizaines d’années.

Et dire que ce plateau était presque un monde autrefois. On ne saurait dire aujourd’hui combien de fermes il y avait, dans ces parages : L’Auto (photo), Le Clergue, Foumagne, Bartoclaro, etc… A côté de Bartoclaro, il y a précisément un nouveau carrefour de chemins servant de limite aux territoires de quatre communes qui se joignent à cet endroit, si bien qu’on disait : « Quatré mairos podont trinqua tout én éstan chez éllis ».

Toutes ces fermes maintenant en ruines étaient habitées et exploitées autrefois. Mais les gens y vivaient très chichement. En certains endroits on avait fait des planchers avec des fagots. Il y a seulement un siècle, les habitants de ce plateau formaient presque une civilisation à part. Des vieux nous ont raconté qu’ils voyaient parfois une fille du plateau descendre au village avec un sac de blé sur le dos.

Ces paysans du plateau nous a-t-on dit, marchaient pieds nus. Une corne épaisse se leur était formée à la plante du pied si bien qu’ils écrasaient les épines le plus naturellement du monde sans ressentir la moindre douleur. L’un d’eux ne mettait des souliers que pour aller à la ville de Mirepoix. Et encore il les portait suspendus au cou, tout le long du chemin, pour ne se chausser qu’à l’entrée de la ville. Ceci non pas tellement pour économiser les souliers mais parce qu’il ne pouvait pas les supporter aux pieds. Il ne se sentait soulagé qu’en quittant Mirepoix au moment où il remettait ses chaussures autour du cou en besace : « Macarel, aqués putagners dé souliès, mé fan mal » disait-il.

Quelques fois les femmes ou les filles descendaient au village pour porter des fromages qu’elles vendaient un sou pièce. Mais en général les gens de ce plateau ne sortaient que pour se rendre aux marché ou aux foires.

Çà les foires, ils ne les manquaient pas, surtout les foires à Chalabre. Ce jour-là le chemin de Peyrefitte à Chalabre était fort fréquenté et par les gens et par le bétail et par les troupeaux qu’on allait vendre. C’était la grande virée commerciale au chef-lieu de canton. C’est pourquoi les foires de Chalabre étaient fort réputées à l’époque.

Mais pour les allumettes et le tabac, les gens du plateau avaient assez souvent la visite de contrebandiers. Il s’ensuivait parfois quelque course poursuite épique avec les gendarmes qui montés à cheval pouvaient s’aventurer par champs et forêts.

Sur cet ancien chemin, à 100 m des ruines du Clergue, une stèle surmontée d’une croix brisée, évoque un tragique souvenir. Dessus est gravée sur la pierre l’inscription suivante : « Ici est mort G…. L… époux d’A…. D…. le 2 septembre 1883, âgé de 57 ans ».

L’acte de décès de l’intéressé est inscrit sur les registres de l’état-civil de la commune de Corbières, mais il ne renseigne pas sur les circonstances de ce décès. D’après le souvenir des anciens, G…. L… chassait. Courant après un perdreau il fut terrassé par une embolie. D’autres disent qu’il tomba, que le fusil partit et le tua. On trouva G…. L… mort avec le perdreau qu’il tenait dans la main glacée.

Cet ancien chemin fit une autre victime. « Dans la nuit du 18 au 19 février 1769, disent les registres de l’état-civil de Gueytes-et-Labastide, on trouva le cadavre de Jean-Pierre Gaxieu, 33 ans, sur le chemin de Chalabre à Peyrefitte et sur la paroisse de Corbières, vis-à-vis de la métairie du Clergue. Et parce que ce jour-là, il faisait un temps de neige horrible et que ledit cadavre risquait d’être dévoré par les loups, il fut transporté à Gueïtes dans sa maison paternelle où il fut visité par le frère Lestrade chirurgien de Mirepoix et par ordre de M. Vidalot juge du lieu. Il fut conclu à une mort naturelle ».

Même pour un jeune la tourmente de neige, la tempête et les forces de la nature déchaînées ne pardonnaient pas, sur le plateau du Clergue.

Aujourd’hui il n’y a plus de loups, sinon que le pittoresque d’un plateau qui mérite d’être visité en été et aussi à la période des cèpes. Dans quelques années, des sapins grandiront sur ce plateau et la forêt recouvrira tant de vieux souvenirs et tout un passé, dont seules les personnes âgées gardent le souvenir. Peut-être cet ancien chemin, deviendra-t-il route forestière. Souhaitons le, ne serait-ce que pour redonner un peu de vie à ces parages où l’homme a été chassé par une nature plus forte que lui ».

Au fond, le pic de Bugarach

L'ancienne carrière de l'Auto

La tradition locale affirme que certaines pierres de parement des églises de Chalabre et de Limoux sont issues de ce gisement