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Vendredi 27 juillet 1944, les troupes allemandes investissent Chalabre

Le récit qui suit, avait été rédigé par le regretté Yves Fournès (photo), et relate dans les détails, une journée particulière vécue par les Chalabrois, lors de l’été 1944.

yves fournès,27 juillet 1944« Depuis deux ans, j’étais employé de bureau aux Etablissements Garrouste, fabrique de chaussures et de chapeaux, au Cazal, hameau situé à un kilomètre de Chalabre. Je venais d’avoir dix-huit ans, jamais je n’oublierai ce 27 juillet 1944, lorsque ce matin là vers 8 h 30, à travers les fenêtres du bureau donnant sur la route, j’ai vu arriver puis stationner devant les bureaux, plusieurs camions chargés de soldats allemands. L’un d’entre eux pénétra dans mon bureau revolver au poing, et intima l’ordre à mon collègue Maurice Alric et à moi-même, de nous lever, bras en l’air, puis il nous interdit de sortir du bureau. Un bureau duquel venait de s’échapper notre collègue Raymond Conquet, pour se réfugier dans les jardins alentour car, comme bon nombre de Français écoutant la radio anglaise, il avait appris quelques jours auparavant, par la radio de Londres, que les Allemands investissaient villes et villages, et prenaient les hommes adultes pour les expédier au travail obligatoire en Allemagne. Raymond Conquet se fera prendre par une patrouille allemande dans un jardin jouxtant l’usine, et fera partie des treize otages chalabrois enlevés par les boches. Ensuite un groupe d’Allemands monte au Cazal et pénètre dans la maison de M. Frédéric Marty (70 ans), à la recherche de son neveu, Henri Marty, qui serait agent de liaison du Maquis. Ils fouillent en vain la maison, car Henri a sauté par la fenêtre de derrière, quelques instants avant, et a regagné la colline du Cazal ; dans la grange, les Allemands trouvent une moto dont le moteur est chaud, prouvant qu’elle vient de servir. Ne pouvant ou ne voulant pas donner des explications quant à cette moto qui vient de servir à son neveu, M. Marty est conduit par les Allemands devant les bureaux des Ets Garrouste, où il restera deux heures debout, et encadré par deux sentinelles, avant d’être conduit à Chalabre en tant qu’otage ; Chalabre avait été encerclée par les troupes allemandes dès le lever du jour, puis investie vers midi.

Vers 13 h, les Allemands autorisaient M. Alric et moi-même, à rentrer chez nous, ce que je faisais aussitôt à bicyclette. Arrivant au pont du Blau, je vois les cours Sully et Colbert remplis de soldats allemands, et au début du cours Colbert, devant la maison du jardinier Théron, est installée une cuisine roulante, qui sert le déjeuner aux soldats allemands, lesquels déjeunent sur les marches d’entrée des maisons situées sur le cours Colbert où j’habite, au centre de celui-ci, mais pas un seul Allemand sur les quatre marches de ma maison ; ma sœur Suzanne m’apprend que de jeunes Allemands qui s’étaient installés sur nos marches pour manger, en ont été chassés à coups de pieds dans le cul par notre père, 64 ans, ancien combattant 1914-1918 au Fort de Douaumont et au Chemin des Dames, et qui avait été en occupation en Allemagne en 1919-1920, qui leur dit en allemand, qu’il voulait rester maître chez lui, qu’au lieu d’attaquer une population sans armes, ils feraient mieux d’aller en Normandie, à la rescousse de leurs frères d’armes qui y prennent une raclée ! Les propos de mon père tenus en allemand, ont fait qu’un soldat les a répercutés à un officier, qui a fait prendre mon père (le treizième otage), avant de le diriger vers le garage Lagrange, début du cours Sully, où étaient rassemblés douze otages, dont onze pris dans les jardins alentour de Chalabre. Les treize otages étaient aussitôt mis debout face au mur de la maison de Mlle Lili, avant d’être embarqués sur l’un des camions allemands qui, vers 15 h 30, prenaient la direction de Foix, et les otages étaient aussitôt incarcérés dans la prison de cette ville ; dès le lendemain matin, les otages étaient emmenés à raison de deux par deux, au château de Laugier, siège de la gestapo en Ariège, où ils étaient interrogés, mais tous ont été relâchés, mon père le dernier, après avoir été brutalisé par le chef de la gestapo, un colosse de cent dix kilos qui à la libération de Foix, pris par le Maquis de l’Ariège, a été traîné par un cheval dans les rues de Foix, avant d’être pendu.

Ce 27 juillet, les Allemands ayant quitté Chalabre vers 16 h, et comme bon nombre de Chalabrois, je suis sorti dans ma ville pour apprendre que le matin même, deux maquisards du Maquis de Picaussel, Gaston Mesplès et Henri Moutou, qui étaient venus à Chalabre, s’étaient échappés par la ferme de Saint-Martin et enfin vers la colline de Roquefère, mais repérés par les Allemands qui leur tiraient dessus, heureusement sans les atteindre, depuis le terrain de sport de Chalabre, en bordure de la rivière Hers.

yves fournès,27 juillet 1944

Plus tard vers 17 h, j’apprenais qu’une équipe de Chalabrois avait retrouvé sur la gauche de la colline Terre-Blanche, le corps de Pierre Fabre, dix-sept ans, qui avait essayé de rejoindre les hauteurs depuis son domicile de la rue du capitaine Danjou, Pierrot, abattu à 500 mètres de chez lui (photo ci-dessus, au centre). Puis j’apprenais qu’il y avait une deuxième victime des troupes allemandes, Marie Faure, octogénaire, rue du Chalabreil, qui, glanant dans les prés de la ferme du Bourdil, avait eu la jambe traversée par une balle, sans gravité toutefois.

Oui, tous les anciens Chalabrois ont gardé un souvenir impérissable de cette journée du 27 juillet 1944 ! Pourquoi les Allemands sont-ils venus ce jour-là à Chalabre ? Afin de faire à la population la démonstration de leur force ? Selon la rumeur locale, quelques jours avant, rentrant au Maquis de Picaussel, un camion ramenant de Chalabre des maquisards, s’est renversé route d’Espezel, à quelques centaines de mètres de l’embranchement du col de la Babourade, et un Chalabrois, Espérance Folchet (photo ci-dessous), est décédé ; pratiquement toute la population de Chalabre, dont votre serviteur, a assisté à ses obsèques ; du domicile d’Espérance au cimetière de Chalabre, tous les embranchements de rues et de routes étaient gardés par des maquisards. Il est probable que cette démonstration de force du Maquis de Picaussel, ait été rapportée à l’état-major allemand, lequel en représailles, a investi Chalabre le 27 juillet à l’aube, pour démontrer à la population du chef-lieu de canton, que les Allemands étaient bien les maîtres de la France ».

                                                                                                                Yves Fournès

yves fournès,27 juillet 1944

Espérance Folchet, avec les copains de l'USC XV (3e accroupi, derrière, en partant de la droite).

Les treize otages emmenés à Foix par les Allemands : Frédéric Marty, Urbain Pousse, Raymond Fournès, Sébastien Hernandez, Irénée Garros, Roger Boutellier, Raymond Conquet, François Cantier, François Théron, Camille Rey (chauffeur chez Jean Raynaud), Michel Banvoy, M. Chabbert (Alsacien résidant chez Mlle Garrouste), un réfugié espagnol.

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