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« 2e tentative d’évasion », un récit de Valentin Martinez († Avril 2008)

En ce lundi 8 mai, où chacun s’apprête à commémorer le 78e anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie, retour vers une période tourmentée qui vit le destin de nombre de nos aînés se jouer loin de chez eux, comme ce fut le cas de Valentin Martinez, décédé en avril 2008. Prisonnier de guerre dans le Land allemand de Basse-Saxe, il avait retracé après la Libération, l’aventure qui lui avait permis de retrouver la maison familiale à Chalabre. Ce périple est retranscrit ci-après, tel que Valentin Martinez l’avait rédigé en septembre 1947.

valentin martinezAdj-chef Martinez

2 ème Tentative d’évasion

« La Cie disciplinaire de Nienburg-Weser où j’étais détenu pour une 1ère tentative d’évasion était logée dans la salle de fête d’un gasthaus (auberge) au petit hameau de Willingshausen à une vingtaine de Kms de Nienburg. Nous étions 70 hommes, français, polonais et belges, gardés par un s/officier allemand et 7 sentinelles. Il était très difficile de s’enfuir du cantonnement de grandes mesures de précaution ayant été prises pour éviter toute tentative. Je décidais donc de partir du chantier. Je préparais minutieusement mon départ que j’avais fixé dans la semaine des fêtes de Noël ayant appris que la moitié de l’effectif des gardiens partait en permission. J’attendais aussi un colis avec des denrées nourrissantes que j’avais demandé à mes parents, n’ayant pour toute nourriture que du pain grillé que j’avais économisé sur ma ration excessivement maigre.

Le 2 janvier 1942 n’ayant pas encore reçu le colis tant attendu je décidais de tenter le tout pour le tout. La surveillance s’était un peu relâchée par suite d’une forte chute de neige rendant une fuite à peu près impossible. J’endossais avant le départ pour le chantier tout mon linge de corps et une vieille culotte que je gardais précieusement depuis ma 1ère évasion et que j’avais toujours réussi à camoufler. Je prenais ma musette remplie de pain grillé. Nous travaillions dans un bosquet situé à quelques centaines de mètres d’une très grande forêt. Nous sciions des arbres, nous les ébranchions et nous fabriquions des fascines et clayonnages qui devaient servir à étayer les bords d’un canal que nous avions du abandonner par suite des grands froids. Je devais tenter l’évasion en même temps que deux Parisiens mais nos plans n’étant pas les mêmes nous partions en même temps et chacun allait de son côté. Arrivés au chantier nous nous mimes à travailler tout en surveillant les sentinelles et nous surveillant mutuellement. Les autres camarades ignoraient nos intentions ayant tenu notre projet secret. Il faisait un froid intense 30° au-dessous de 0. Vers les 10 heures profitant de l’inattention des sentinelles en train de se chauffer nous nous approchâmes du lieu où le contremaître civil et deux civils avaient déposé leurs manteaux et leurs vivres pour filer. Je bondis sur le manteau du contremaître qui était de ma taille, je pris au passage ma musette de pain, je me faufilais au travers des buissons et je fonçais pour faire les 400 mètres environ que nous avions à faire à découvert. A peine arrivé à la lisière de la grande forêt j’entendis plusieurs coups de feu. Je fonçais tête baissée dans les taillis pour que la neige en retombant camoufle mes traces. Dans la forêt je me dirigeais dans le sens opposé que devaient prendre mes deux camarades d’évasion en sautant d’arbre en arbre pour ne pas laisser de traces dans la neige. Je courais et marchais pendant plus d’une heure et m’arrêtais enfin (!) dans un taillis broussailleux. Je restais là tapi jusqu’à 22 h claquant des dents. J’enlevais mon pantalon militaire et ma vareuse que j’abandonnais et revêtu du manteau je faisais un civil assez convenable. Il faisait une nuit étoilée, je m’orientais et partais en direction du chantier que j’avais quitté pour retrouver mon chemin.

Je détenais un calque de l’Allemagne Nord Ouest et de la Hollande que j’avais copié sur un journal jeté par les Allemands et servant à envelopper leur casse-croûte. C’était un exposé de la poussée allemande sur la Hollande et Belgique. Seules les grandes villes y étaient marquées et les routes principales avec des petits sigles et des flèches. Cette carte partait de Nienburg, je devais donc rejoindre la route principale qui devait passer à une dizaine de kilomètres de Willingshausen en direction du sud. Je revins donc sur le chantier et repris le chemin du camp. Un camarade travaillant chez un menuisier m’avait signalé des bicyclettes dans la grange. Je me rendis donc dans celle-ci, pénétrais à l’intérieur, pris la bicyclette, je passais vers les minuit dans Willingshausen et prenais un chemin de champ se dirigeant vers le sud. Je le suivis et lorsqu’il obliqua sur la gauche je continuais à travers champ portant la bicyclette sur mon dos et enfonçant jusqu’aux genoux et parfois à mi-cuisse dans la neige fraîche. Vers les 4 h du matin j’atteignis la grande route, j’enfourchais ma bicyclette et partais en direction de l’ouest. A l’aube je traversais (?) où je rencontrais beaucoup d’aviateurs. Je roulais toute la journée, rebroussant plusieurs fois chemin voulant éviter Osnabrück. J’obliquais carrément vers le nord et trouvant à nouveau une route allant vers l’ouest je la pris. Je traversais Papenburg. Un brouillard intense étant tombé je n’avais plus aucun moyen d’orientation. Toute une journée j’attendis dans une forêt complètement désorienté. Vers le soir je vis un point un peu plus lumineux dans le ciel et partais dans cette direction. Mes souffrances étaient très grandes, j’avais le nez gelé et une soif intense. Mes lèvres étaient boursouflées de boutons de fièvre et la neige que je mangeais n’arrivait pas à me désaltérer. Je roulais toute la nuit très lentement car j’étais exténué et lorsque glissant sur le verglas je tombais je devais réagir de toute ma volonté pour ne pas m’endormir sur la chaussée.

Enfin ! Un matin vers les 6 h après avoir traversé Lingen je vis un poteau indicateur. « Nordhorn 10 kms. Quelle joie ! ». Nordhorn était marqué sur ma carte et pas bien loin de la frontière. Je pédalais le cœur joyeux. La route obliquait à gauche et traversait un pont, mais arrivé au bout on me crie « Halt » je ralentis et arrivé sur deux policiers je piquais un démarrage et réussis à passer. Je pédalais tant que je pouvais, je culbutais dans une congère de neige, traversais Nordhorn en trombe et prenais un chemin vicinal abandonnant la grande route. Après avoir roulé plusieurs kms j’ai rencontré deux prisonniers français non gardés se rendant travailler chez des paysans. Je me fis reconnaître et leur demandais des renseignements. Ils me dirent que la frontière était à environ 1 km dans telle direction. Lorsque je leur demandais s’ils ne pensaient pas à se sauver, ils me dirent que c’était presque impossible, la frontière étant gardée par des patrouilles qui avaient ordre de tirer sur les P.G. tentant de passer. Je leur demandais s’il ne leur était pas possible de m’apporter à boire, ils me répondirent : « Ce soir en rentrant ». Je me cachais dans un boqueteau qui était à proximité et j’attendis jusqu’au soir. Je bus gloutonnement un bidon de café au lait apporté par les deux P.G. et mangeais avec délices quelques sandwichs qu’ils m’apportèrent. Depuis 4 jours je ne vivais que d’un morceau de pain sec le matin, un à midi et 2 le soir.

J’attendis encore jusqu’à 23 h dans le bosquet et partais ensuite dans la direction qui m’avait été indiquée. J’arrivais à la lisière d’une forêt et je dus me résigner à abandonner ma bicyclette pour éviter tout bruit. Je marchais plusieurs centaines de mètres et aperçu un chemin en remblai bordé d’une haie de barbelés. Je me dis, ce doit être la frontière. Je traversais en courant et après avoir marché plusieurs kms je trouvais une métairie. Je réussis à pénétrer dans l’étable et étant à peu près sûr d’être en Hollande, je montais dans une soupente qui était au-dessus des vaches, m’enfouissais dans le foin et m’endormis. Le matin je fus réveillé par le paysan venant donner à manger à ses vaches. Pour éviter un coup de fourche je me fis voir. Par mesure de précaution je demandais au Paysan la direction de Nordhorn. Il me répondit : « Nordhorn in Deutschland ? ». Je lui demandais : « Hier nich Deutschland ? ». « Nee » me répondit-il, « Holland ! ».

Je lui expliquais alors que j’étais français, « kriegsgefangen » (prisonnier de guerre). Je reçus un accueil chaleureux, on me donna à manger, à boire et même de l’argent ainsi qu’une carte routière de la Hollande et Belgique. Lorsque je partis à 14 h la dame et la jeune fille pleuraient. Je reçus ce même accueil partout en Hollande que je traversais en 3 jours. Je passais à Oldenzaal, Zutphen, Arnhem, Nieuwegein et Tilburg. Je franchis la frontière Hollande, Belgique de nuit en passant à travers bois et arrivais au matin à Popel (Belgique) où je faillis me faire prendre par un s/officier allemand que je battis à la course. J’arrivais à Turnhout. Je me présentais au Commissaire de police de cette ville qui m’avait été recommandé. Celui-ci refusa de me faire passer la nuit chez lui mais me donna de l’argent et m’accompagna au tramway qui relie Turnhout Anvers. A Anvers je me rendis à la gare mais n’ayant plus de train jusqu’au lendemain je décidais de passer la nuit à la salle d’attente. A 22 h une sentinelle allemande passa pour faire évacuer. Je partis et traversais la ville malgré le couvre-feu évitant les patrouilles allemandes. Je passais le restant de la nuit dans une baraque située dans les jardins d’Anvers. Le matin je trouvais un camion de déménagement qui m’amena jusqu’à Bruxelles. Je reçus un accueil chaleureux par la Croix-Rouge belge en gare de Bruxelles. L’infirmière Mlle Paulette Van Trier me ravitailla, me fit dormir et paya mon billet de chemin de fer jusqu’à la frontière belge française. Je demandais l’hospitalité dans une métairie pour passer la nuit. Le matin à l’aube le fils de la maison me fit franchir la frontière. Je traversais Maubeuge. J’arrivais le soir à Mont Dourlers où l’on m’offrit l’hospitalité chez M. Tisseyre. Je  me reposais deux jours, M. Tisseyre me donna de l’argent et une fausse carte d’identité. On m’accompagna prendre le train à Aulnoy (Nord). A Tergnier (limite de la zone interdite), je descendis du train, j’attendis, caché derrière une haie et je remontais lorsque le train démarra. Je passais la nuit à Paris chez une dame qui me donna une lettre de recommandation pour une serveuse du restaurant de la Croix-Blanche à Tours. Celle-ci m’amena chez le Chanoine Robin de Tours qui me fit manger et me donna un plan pour me rendre chez l’Instituteur libre de Bléré La Croix avec le mot de passe suivant « Je suis un petit chocolat du Chanoine Robin ». Le soir même l’instituteur m’accompagna jusqu’en zone libre. Je couchais à Loches. Le lendemain je prenais le car Loches Châteauroux, et le train Châteauroux Toulouse. Le lendemain j’arrivais à Chalabre (Aude) où habitaient mes parents. Vu mon extrême faiblesse le docteur Anduze de Chalabre me donna 8 jours de repos et le 28 Janvier je me rendis au C.A.T. de Carcassonne me présenter aux autorités militaires ».

                                          A SP 54006 le     Sept. 1947

                                                 Martinez (signé)

valentin martinez

Commentaires

  • Bonjour,

    Merci pour ce superbe récit qui est très émouvant sur cet épisode de la vie de Mr "Valentin".
    Content de pouvoir lire ces moments compliqués de nos parents et grand parents, je m'en veux de ne pas avoir récupéré par écrit les informations précises de ma famille sur cette période compliquée. Sur les détails qui se racontaient le soir au coin du feu, soir au lit avec mon grand père....
    Merci pour ce texte et une pensée pour cet homme toujours au travail !
    Les Valentins nous fournissait en bombes glacées (sans colorant ni conservateur et qu"avec des produits locaux, circuit court comme ils disent !!!) délicieuses dans le moule métallique avec un écrou sur le dessus pour souffler et faciliter le démoulage, dans une boite isolante que l'on ramenait après le repas.

  • Rien d'étonnant ce périple exceptionnel quand on connait "Valentin" - Nom générique employé par tout le Chalabrais de l'époque - Courage et vaillance on émaillés sa longue vie de labeur. On peut l'imaginer en 1947 avec la fougue de sa jeunesse dépassant sa peur au ventre, dans un froid sibérien, avec l'ambition irrésistible de retrouver sa base et les siens.

  • Découverte bouleversante et passionnante lecture de cette incroyabe épopée , que je connaissais pas , dont je n'avais jamais entendu parler...
    Certainement que la peur et la faim décuplent les forces, mais il en faut du courage pour se faufiler entre les frontières!!!!
    Soulagée d' entendre que parfois l'on tombe sur des gens sympathisants ,accessibles, généreux.
    Lorsque j'achetais mes boules de glace pistache les soirées estivales de vacances aoûtiennes, j'étais loin de me douter de "l'autre et monde' : j'ai perdu ma naïveté pluis tard!!

  • Je suis le Fils ainé de Valentin et je voudrai bien réentendre l'histoire de la bouteille vide et de la bouteille pleine . Pourriez vous me l'envoyer sur mon mail houstalet23@gmail.com
    Par avance , je vous remercie

  • Salut Clement. Je ne peux t'aider concernant l'histoire des bouteilles, mais te dire ma considération pour ta générosité lors de tes acccueils en compagnie de mon copain le Lorrain Kieffer - Papeete 1969 - Port Vila 1970 - Un courrier de remerciement lorsque j'ai regagné la métropole était le minimum . . . . . . l'on manque de gratitude quand on a 20 ans !
    Bien amicalement à toi, globe trotter devant l'éternel.

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