Un poème de l'ami Bernard, et des mots pour nous emmener vers un été qui semble si lointain.
(photo Maurice Mazon)
Le temps des moissons
Dans la plaine brûlante, les beaux épis bien blonds
Ondulent sous la brise en cette fin juillet,
Les prenant dans les mains, le grand père Léon,
Constate qu’ils sont mûrs, il faut donc les couper.
Il ne faut point tarder, et dès l’aube suivante,
Avec sa faux tranchante, il a fait le passage
Tout autour de ce champ de couleur éclatante,
Car il ne veut rien perdre avec son attelage.
Dès la soupe avalée, il attelle Pardou et Mascaré,
Ces jolis bœufs gascons pour tirer la lieuse,
Vers ce champ préparé avec tant de fierté
De l’aurore au crépuscule avec ses mains calleuses.
Du haut de mes huit ans, sur le siège installé,
Je guette et je surveille comme m’a dit Léon,
Qui précédant ses bêtes et d’un pas cadencé,
Sait les faire écouter sans besoin d’aiguillon.
Le rythme est soutenu, tout marche à merveille,
Les gerbes sont empilées en des tas réguliers,
Protégées de la pluie mais offertes au soleil
Pour quelques jours encore avant d’être gerbier.
Tout autour, dans les champs fraîchement moissonnés,
Tableau cher à Millet, on voit quelques glaneuses,
Le fichu sur la tête, ramasser les épis oubliés,
Le dos courbé, avec leurs pauvres mains rugueuses.
Après c’est la charrette, les gerbes sont croisées et disposées
D’une telle façon pour que le lourd chargement,
Regagne sans encombre d’une allure chaloupée,
Tout là-bas cette grange, ce lieu bien plus clément.
Charrette après charrette, la grange est vite remplie,
Alors sur cette place, la hyère, on élève le gerbier,
Qui de formes élégantes et sans anomalie,
Ressemble alors à une église dépourvue de clocher.
Tout est bien à l’abri, il faut donc attendre
Que la vieille batteuse après tant de services,
Nous revienne au village en ce mois de septembre,
Tirée par ce tracteur, moment toujours propice.
Les voisins et amis sont alors avertis, le monde réquisitionné,
Car en quelques semaines, il faut tout dépiquer,
On commence chez Lucien, Eugène, puis Paul et le Roué,
Ah, cette belle solidarité, on est loin d’en manquer.
Il fait encore nuit, et dans le froid matinal,
Il faut alors le chauffer et tourner la manivelle,
Pour que le vieux tracteur démarre dans un bruit de métal
Ce poumpoum régulier, drôle de ritournelle.
Un contrôle par ci, un peu de graisse par là,
Et la longue courroie fait tourner la machine,
Et dès que le jour pointe, tout le monde est en bas,
Chacun est à son poste, voisin et voisine.
Tout en haut du gerbier, les hommes lancent les gerbes,
Qui vite déliées plongent dans le batteur
Par deux femmes actives séparant bien ces herbes,
Leurs visages déjà noircis par poussière et sueur.
Dans un bruit infernal, tout le monde s’active,
Les hommes ont noué leur mouchoir sur la tête,
Il faut faire attention dès que le soleil arrive,
Mais très vite la poussière change leur silhouette.
Posté sur le devant, Raymond fixe les sacs de jute,
Pour recevoir ces grains, le bon pain de demain,
Ils sont vite remplis et il faut être robuste,
Pour les remuer et charger en quelques tours de mains.
Quelques mètres plus loin, son frère Georges aiguille,
Il connait le métier car il fait la campagne,
Et la paille dorée, pressée, sous le soleil scintille,
Mais les journées sont dures, on n’est pas loin du bagne.
Au fond, il y a les forts, les costauds, les piliers rouge et noir,
Qui avec un vieux sac retourné sur leur tête,
Et le crochet de fer comme seul accessoire,
Chargent les grosses balles, ce ne sont pas des mauviettes.
Pour nous, les enfants du village, c’est une distraction,
Nous sommes bien trop jeunes pour aider à la tâche,
Alors on ravitaille tout le monde en boissons,
Avec de l’eau bien fraîche et du petit vin qui tache.
Ça y est, le vieux tracteur s’est tu, la journée est finie,
C’est enfin le silence, et les hommes et les femmes
S’enlèvent la poussière, et les yeux bien rougis
S’en vont se rafraîchir afin de ressembler à Monsieur ou Madame.
Là haut, chez Albanie, la table s’est agrandie,
Car ce soir, il faut les régaler les vaillants travailleurs,
Il y a de quoi manger, le jambon du cochon et le canard rôti,
Les croustades et le vin du Pierret, il n’y a rien de meilleur.
On sort quelques liqueurs, la bouteille d’eau de vie,
On raconte quelques histoires et puis il y a les chanteurs,
Qui sans se faire prier chantent leur mélodie,
Ecoutés pieusement par tous les invités, ah, quel bonheur.
Il ne faut point tarder car demain il faut recommencer,
On boit le dernier café, on se fait le dernier canard,
Puis on rentre chez soi, les muscles fatigués et la tête embrumée,
Mais demain, dès six heures, ils seront tous là, sans retard.
Bernard, 2015