En cette journée du souvenir et d'hommages aux Poilus,
deux poèmes de JIEL, pour ne pas oublier
Quatorze
Dans cette nuit d’été au ciel de lumière,
Le vacarme des canons a brisé leurs tympans ;
Les hurlements bestiaux venus des ténèbres,
Ont changé ces hommes en fantômes rampants.
Les rats effrayés ont regagné leur tanière ;
Les poilus sont comme eux, gris et puants,
Recouverts de poudre de sang de poussière,
A peine savent-ils encore qu’ils sont vivants.
Dans ces dernières minutes avant le chaos,
Ils serrent sur leur coeur une photo froissée
Ou le papier usé de mots d’amour si beaux
D’une mère adorée ou d’une bien-aimée.
A la première lueur de ce jour dérisoire,
Ils bondiront hors de leur refuge misérable
Pour aller chercher les larmes de gloire,
D’une course éperdue, d’un destin pitoyable.
Le silence est revenu ; l’obscurité s’éteint.
Les yeux de ces camarades d’infortune
Racontent leur vie prédisent leur fin,
Les regards d’effroi, leur dernière torture.
Ils oublient désormais la misère des jours,
Les blessures du corps, les fêlures de l’âme ;
La peur de la mort dans les tripes toujours,
Demain pour certains, pour les autres le drame.
Le soleil va bientôt pointer sur la nature absente.
Serrés comme un seul dans des odeurs confuses
De merde et de vinasse, dans une agitation lente,
La baïonnette au canon quand déjà les balles fusent.
Le sifflet retentit, les hommes devenus fauves
Au prix de mille efforts se lancent dans la terreur
Et courent sans penser et tombent sans cause,
Dans une folie collective de mort et d’horreur.
JIEL
Quatorze.pdf
Ma plus belle victoire
Le sifflet a retenti dans la tranchée !
Depuis des heures, figés dans la boue,
Hagards, transis, incapables de flancher,
Soldats sans âme, instruits pour rester debout.
Dans les pensées absentes, je pressens ma fin ;
Mon coeur de pierre, sans nul espoir, sans haine,
Conduit ma course de loyal fantassin
Dans cet assaut de trop, cette route vaine.
Avec mes compagnons de combat fuyant la vie,
Dans les barbelés acérés et le froid, je reste fort,
Tel un homme fantôme dont la conscience survie.
Je cours, je fonce jusqu’au bout de l’effort.
Puis, l’explosion atroce a dévasté mon corps...
...Je suis mort ! Comment le croire ?
Pourtant je suis mort, la nuit la plus noire ;
Obscurité éternelle de vivant.
Je suis mort ! Tout porte à le croire !
Pourtant c’est bruyant la mort, comme à la foire ;
Foule imaginaire de vivant.
Je suis mort ! J’ai perdu la mémoire !
Pourtant c’est doux la mort, mon exutoire ;
Dérobade complaisante de vivant.
J’entends parler les morts autour de moi,
« Tiens bon camarade ! » lance le brancardier ;
Une volonté obstinée de vivant.
Je suis vivant ! Qui peut le croire ?
En lambeaux, mais vivant !
La vie, ma plus belle victoire...
JIEL
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