Le texte mis en ligne, rédigé sous la plume de Josette Taffet-Brzesc, a été inspiré par la destinée d'un pensionnaire de la rue Saint-Antoine, parti rejoindre l'olympe dédié aux greffiers.
L'été venu, « le vieux guerrier » se rendait utile, veillant sur un trophée appelé à rallier les Hauts du Cazal
« Beaucoup de Chalabrois se souviendront de lui… Campé au milieu du pas de la porte, assis sur son derrière, il était là à profiter du soleil, ignorant le va-et-vient de tous ces importuns qui le frôlaient pour entrer dans la boutique… Au passage, certains y allaient d’un commentaire le plus souvent amical, parfois assorti d’une ébauche de caresse. Pour d’autres, la vue de ce corps efflanqué de ce pelage noir encore brillant certes mais rare par endroit (il avait encore très bon appétit selon Jean-Paul son hôte nourricier), de l’œil blanc et vitreux (il n’y voyait ni n’entendait plus goutte), des vieilles cicatrices qui dévoilaient la bonne vie de guerrier qui avait été la sienne, ceux-là pouvaient avoir un moment d’hésitation avant de franchir la porte…
« Guerrier », c’est ainsi que je l’avais baptisé, aux récits que Jean-Paul me faisait de la vie de cet animal, le mâle, maître dominant de son quartier, autour de la Place… De ses nuits surtout… De ses rixes amoureuses… Il en revenait tout ébréché, sanguinolent, boiteux… mais, on peut le préjuger, triomphant. Depuis des années il s’était donné dans cette maison. D’abord méfiant, il avait ensuite trouvé la maison à son goût, amicale et confortable, un hôte compatissant et généreux qui lui avait fait une place auprès de lui et de ses filles. Caresses, bon coucher, bonne table, croquettes à gogo, confort en hiver, fraîcheur en été dans cette maison profonde incluse dans le périmètre de notre bastide, Chalabre.
Ces jours derniers, c’est en franchissant la porte de la boutique que son absence s’imposa à moi. J’interrogeais Jean-Paul… Mais où est donc le « Guerrier » ? « Il est mort il y a trois semaines me dit-il. Il est parti de sa belle mort, tranquille. Un matin, je l’ai retrouvé dans son carton… C’est comme s’il s’était endormi… ». Ainsi va la vie…
La dernière fois où je l’avais aperçu, il trifouillait la terre du bac à fleurs devant la maison de Louis, au bas de la rue St Antoine ; enfin je ne voyais que son dos émergeant des herbes folles et des fleurs. Le « Guerrier » était encore à son affaire. Il y a plusieurs années de cela, les récits que me faisait Jean-Paul de ses exploits, la présence familière de celui qui était devenu pour moi le « Guerrier » m’inspirèrent un petit poème que je vous livre ici » :
Mon Ami le Chat
Dans un ciel sans lune, mon ami le chat,
Cherche sa fortune aux rives des toits.
C’est un chat sauvage sans home ni bagage,
Il n’a que pour lui, seul, qu’un cœur épris.
Il cherche sa belle. « Viendra ? Viendra-pas ? »
Elle n’est pas de celles qui courent les toits.
Pour la belle absente le chat se lamente
Et ses miaulements me glacent le sang.
Pauvre chat de misère qui soudain comprend
Que parfois les belles trompent leur amant.
C’est avec le chat de la charcutière
Qu’elle court la gouttière.
Mais que voulez-vous ?
Dans un ciel sans lune tous les chats sont gris.
De son infortune je pleure avec lui.
Josette Taffet-Brzesc